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« Ce n’est sûrement pas un grand moment historique », pensa piteusement Gosseyn Trois.

Un surhomme – c’était le nom que l’on pouvait donner aux Gilbert Gosseyn de cet univers – était poussé par une femelle humaine à participer à ce qui semblait être un acte sexuel normal. Le surhomme résistait à cette sollicitation ; et cependant, c’était un célibataire qui n’avait contracté aucun engagement vis-à-vis d’une autre femme. Et, fait également significatif, aucun de ses prédécesseurs… qui eux aussi, d’après les souvenirs qu’il partageait avec eux, n’étaient ni fiancés ni mariés… n’avaient eu de rapports intimes avec une femme.

Deux femmes seulement auraient eu l’occasion d’établir une relation de ce type avec l’un des Gosseyn. Leej, et l’ex-Patricia Hardie. Peut-être cette dernière pourrait-elle lui expliquer pourquoi il ne s’était rien passé pendant la nuit où Gilbert Gosseyn et elle avaient partagé la même chambre.

Poussé par ces considérations nombreuses mais sommaires, Gilbert Gosseyn Trois s’adressa à son lointain alter ego justement au moment où la porte de la chambre se refermait derrière lui.

— Peux-tu demander à Patricia de s’expliquer là-dessus ?

Il espérait obtenir ainsi quelques données qui l’aideraient à se tirer de cette situation. En même temps, il se dit que tout rapport intime qu’il établirait avec quelqu’un serait automatiquement partagé par Gosseyn Deux.

C’était un obstacle de plus à ce genre de chose, qui exigerait un accord préalable du type… je-regarde-ailleurs-pendant-ce-temps-là.

Tandis qu’il pensait à cela, Gosseyn Deux questionnait l’ex-Patricia Hardie.

Il y eut un silence. Puis la voix de la jeune femme se fit entendre par l’entremise du cerveau de Gosseyn Deux. Elle avait l’air légèrement amusée, comme s’il s’agissait d’un sujet auquel elle n’avait pas encore pensé, mais qu’elle aurait trouvé comique.

— Si vous consultez les souvenirs communs aux deux Gosseyn, vous apprendrez que nous étions alors dans une situation très tendue. Bien que les autres personnes impliquées l’ignorassent, j’étais la sœur d’Enro… avec toutes les contraintes que cela implique. Et, en plus, j’avais déjà rencontré Eldred, et la fascination qu’exerçait sur moi la Sémantique générale en avait fait, à mes yeux, quelqu’un d’extraordinaire. J’avais tout de suite vu en Gilbert Gosseyn un protecteur, un homme sur lequel je pouvais compter.

Elle ajouta :

— Maintenant que nous avons un Gosseyn Deux et un Gosseyn Trois, tous deux vivant en même temps, nous nous sommes aperçus que le premier Gosseyn était un être différent ; le fait de partager ses souvenirs a fortement intéressé et même fasciné Gilbert Gosseyn Deux. Mais si vous tenez compte de tous les facteurs que j’ai mentionnés, vous en déduirez que, durant la nuit que nous avons passée ensemble nous n’avions guère de raisons de nous embarquer dans une relation personnelle intime.

Elle parut sourire de nouveau en concluant :

— Vous êtes peut-être dans une situation difficile, mais je n’arrive pas à me sentir désolée pour vous. D’un autre côté, si c’est à cause de la Sémantique générale que Gosseyn Un n’a pas essayé d’abuser de la situation cette nuit-là, nous avons là une nouvelle réflexion éthique d’une grande valeur. Comme vous le savez, beaucoup d’hommes, dans l’univers, possèdent une morale raffinée qui les retient de commettre des actions indélicates ; et j’approuve qu’il en soit ainsi.

L’analyse de l’ex-Patricia Hardie avait été un peu longue mais elle parut convaincante à Gosseyn Trois. Et le temps qu’elle avait pris pour la formuler lui avait permis d’effectuer ses propres réflexions morales.

« Que puis-je dire d’autre ? » pensa-t-il.

La décision à laquelle il était parvenu semblait de type cortical. Et, tout en restant au seuil de cette chambre qu’au premier coup d’œil il avait qualifiée de luxueuse, il secoua doucement la tête en disant à la femme qui le regardait, à demi tournée vers lui :

— Ma philosophie et l’envie que j’ai de vous protéger m’interdisent de tirer avantage des sentiments que vous éprouvez pour moi.

Mais il était un peu tard pour la repousser ainsi. Car elle avait déjà ôté cette drôle de chemise masculine, exposant à sa vue un sous-vêtement transparent et la partie supérieure de deux seins nus. Tandis qu’il parlait encore, elle se tourna complètement pour lui faire face ; et il ne put dire, à l’expression de son visage et à son attitude légèrement penchée en avant, si elle était choquée par ses paroles.

— Votre philosophie ? répéta-t-elle enfin. Vous voulez dire… votre religion ?

— Cela s’appelle la Sémantique générale, dit Gosseyn aussi aimablement que possible.

— Et… (elle s’était redressée)… la Sémantique générale interdit qu’un homme et une femme aient des relations sexuelles hors du mariage ?

Comme la Sémantique générale ne défendait jamais les relations sexuelles, dans quelque situation que ce soit, Gosseyn Trois se dit que son beau raisonnement était bien rapidement mis en échec.

Néanmoins, il s’arma de courage.

— Madame, je voudrais que vous songiez à la situation dans laquelle nous sommes. Il y a peu, un étranger – moi-même – était amené à bord de ce vaisseau. Une heure environ après que les savants l’aient réveillé, la mère de l’empereur annonce qu’elle va l’épouser. On pourrait croire que j’ai utilisé un pouvoir mental particulier pour influencer cette dame. Lorsque cette idée viendra à l’esprit des officiers de ce navire, ils vont tout faire pour vous secourir et rien ne pourra les dissuader de m’éliminer s’ils le jugent nécessaire.

Au fur et à mesure qu’il parlait, l’expression du visage et des yeux de la jeune femme se modifia progressivement ; elle semblait accueillir favorablement son argument.

En effet, quelques instants plus tard, elle hocha la tête.

— Je vois qu’un mariage précipité serait déraisonnable. Mais une liaison secrète, si nous avons tous deux l’intention de la conclure par un mariage, satisferait sûrement à tous vos scrupules religieux.

Gosseyn se surprit à sourire ; car, en vérité, c’était un sujet auquel la Sémantique générale ne s’était jamais attaquée. Pourtant il affirma avec assurance :

— Pas dans le cas de la Sémantique générale.

Durant ce très bref entretien, la jeune femme avait tout de même eu le temps de se faire une opinion personnelle, car elle eut, soudain, un sourire ironique.

— Mon cher ami, dit-elle d’un ton sarcastique, un de ces jours, il faudra que vous me parliez de la Sémantique générale et de son dieu ; que vous m’expliquiez comment il a réussi à réprimer les passions de la créature la plus obstinée de tout l’univers et la plus déterminée à satisfaire ses désirs sexuels : l’être humain.

« Je n’accepte qu’à contrecœur que vous ne puissiez, pour une raison quelconque, vous adapter à la réalité la plus simple qui soit : les relations sexuelles. Et peut-être devrais-je réévaluer l’impression que vous avez faite sur moi. Mais cela peut attendre. Et… (avec plus de douceur)… puisque je me suis résignée à ce qu’il ne se passe rien entre nous maintenant – cette discussion choquante ayant réussi à me refroidir –, pourquoi ne retournez-vous pas dans l’autre pièce où je vais bientôt vous rejoindre ?

— Merci, madame.

Sur ce, Gosseyn fit demi-tour, ouvrit la porte et passa dans le salon.

Il se sentait vaguement honteux. Mais également soulagé car il ne voulait pas s’engager vis-à-vis d’une femme avant que sa situation ne se soit quelque peu clarifiée…

— D’accord, Gosseyn Deux ?

La réponse lui parvint aussitôt : mais elle avait la même ambiguïté que les réflexions qu’il venait de faire.

— Nous avons besoin de plus d’informations, c’est vrai ; mais Patricia est en train de hocher la tête en souriant.

— Dites à cette dame que les femmes ont, depuis des temps immémoriaux, repoussé les hommes et qu’elles pensent avoir de bonnes raisons pour le faire… Et cela ne fait sourire personne.

Il n’y eut aucune objection.

La fin du Non-A
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